A un moment envisagé comme une parenthèse dans sa carrière, "l'album de blues de Johnny" est finalement devenu pour ce dernier un disque à fort enjeu musical, économique et symbolique. Sorti le 12 novembre, Le Coeur d'un homme a ainsi bénéficié d'une mise en place de 410 000 pré-commandes. Déjà un signe de succès en pleine crise de l'industrie phonographique et sans doute un soulagement pour Johnny Hallyday dont l'image, ces derniers mois, a souvent été polluée par les affaires juridiques, les polémiques politiques et fiscales.
Le chanteur reçoit dans une suite du Fouquet's Barrière, à Paris, à quelques dizaines de mètres du restaurant des Champs-Elysées où il a fêté, le 6 mai, l'élection à la présidence de la République de Nicolas Sarkozy. A 64 ans, le chanteur commence avec Le Coeur d'un homme sa carrière "studio" (après la publication, en 2006, d'un album enregistré en public, Flashback) dans sa nouvelle maison de disques, Warner, avec laquelle il a signé après sa rupture avec Universal.
Depuis longtemps, Hallyday présente ce "disque de blues" comme élément déterminant de son divorce avec son ancien producteur. "Universal n'y croyait pas, répète-t-il aujourd'hui, ce n'était pas assez tendance. Je voulais faire un disque proche de mes racines, eux ne pensaient qu'au rendement." Il s'emporte contre la maison de disques dont les trois dernières productions avec lui ont été les trois meilleures ventes d'albums de la carrière du chanteur (de 1 à 2 millions d'exemplaires vendus à chaque fois). A l'époque où Hallyday propose à Universal d'enregistrer un "album de blues", le chanteur a déjà attaqué en justice sa maison de disques pour récupérer la propriété de ses anciens titres (procès qu'il perdra définitivement en juin 2007).
Le contact est alors rompu avec Pascal Nègre, patron d'Universal, jusqu'alors son interlocuteur direct. Ce contexte tendu ne facilitera pas son projet. D'après des sources proches de M. Nègre : "Johnny voulait travailler sur des chansons qu'avait composées son guitariste américain. Comme les morceaux étaient jugés de mauvaise qualité, on lui a dit non."
Qu'il ait eu ou non un rôle dans la séparation avec Universal, l'"album de blues", une fois prévu chez Warner, devenait un défi pour l'orgueil de l'artiste et son nouveau label. Directeur artistique chez Warner, Jef Cahours s'est attelé à cette tâche pendant un an et demi. C'est à lui entre autres qu'incombait le rôle de rassembler un répertoire et de travailler la couleur de la réalisation artistique.
DOBROS ET MACHINERIES
"Johnny disait vouloir un vrai disque de blues, un disque du Sud profond, explique Cahours, en même temps, il précisait "un disque pas chiant", avec un potentiel commercial. Trop classiquement blues, ça aurait été ennuyeux, trop variété ce n'était plus l'esprit." Aux adaptations de standards, l'équipe Warner préfère finalement quelques nouveaux noms - Marie-Laure Douce, Christian Lejalé, l'ami acteur Bruno Putzulu - et d'autres qui avaient déjà fait leur preuve au temps d'Universal - Fred Blondin, Jacques Veneruso, l'historique Michel Mallory ou l'arrangeur-compositeur Yvan Cassar.
"L'important était surtout de mettre à nu sa voix, en ayant plus recours aux instruments acoustiques", revendique Cahours. "J'ai souvent été pris dans l'engrenage du toujours plus, constate le chanteur, là les chansons ne réclamaient pas des cavalcades de violons et de cuivres." Au côté des dobros et de l'harmonica, on trouve aussi quelques grosses machineries comme le single Always ou un final, I Am the Blues, écrit par Bono, le leader de U2.
"Bono, que je connaissais, était venu me voir à Monaco lors d'un concert de la dernière tournée", rappelle Hallyday dans chacun des entretiens. Nous avions pas mal picolé. Il avait promis de m'écrire une chanson. " "Nous avons reçu le titre peu de temps avant de partir enregistrer à Los Angeles, précise Jef Cahours. Cela ne cadrait pas vraiment avec l'esprit du disque, mais comment refuser un titre de Bono ?"
Chantée en anglais, I Am the Blues serait responsable de l'intérêt de plusieurs pays non francophones (dont les Etats-Unis) pour la sortie de l'album. En attendant, en France, pour Warner l'équilibre financier serait atteint avec 500 000 ventes.
Le chanteur, lui, est heureux de pouvoir reparler de musique, et non de ses préoccupations fiscales, de son exil en Suisse et de sa demande éphémère de la nationalité belge. La campagne de lancement de l'"album de blues" fait-elle office de ravalement d'image ? "Ce débat n'intéresse que les journalistes, affirme le chanteur, mon public s'en fout."
"Dans ce contexte, admet Thierry Chassagne, le patron de Warner, on s'est dit que si on revenait avec un disque moyen, cela risquait de nous faire mal. Nous sommes rassurés, tous les indicateurs sont au vert." La maison de disques espère que cette quête de crédibilité musicale profitera au prochain album - plus classiquement chanson - déjà en chantier, avant une tournée des stades prévue pour 2009.